Respiration et solidarité

Au moment d’écrire ce billet, je me dis qu’au fond depuis l’irruption de la pandémie dans nos vies et notre société, tout est question de respiration : pour les patients covidiens, pour les soignants, pour les entreprises et travailleurs en difficulté. Et de solidarité : avec les plus fragiles, les plus âgés, les plus démunis socialement et les patients atteints de maladies graves hors covid[1].

Après quelque hésitation vu le caractère sensible du sujet, je me suis résolu à partager avec vous les réflexions, perceptions, et questions qui me sont venues suite au malaise patent au sein des soignants.

L’idée m’en est venue en constatant avec effarement que des infirmières d’un hôpital diffusaient auprès de leurs collègues et de leurs amis de fausses informations comme quoi le vaccin rendrait les femmes stériles. Mon étonnement s’est renforcé suite au tract d’une section syndicale reprenant carrément des « arguments » anti-vax, tract immédiatement et clairement condamné il est vrai par les dirigeants.

Comment en est-on arrivé là ?

Notre système de santé et notre réseau hospitalier restent à bien des égards parmi les meilleurs sur le plan mondial et européen. On ne peut nier que les mises en garde se sont répétées au fil des ans face à un approche politique de plus en plus focalisée sur la gestion budgétaire , où les questions de santé sont perçues essentiellement comme des sources de dépenses. Ce souci financier est évidemment important.

Mais il a, me semble-t-il, pris progressivement une place prépondérante au point d’envahir tout l’espace de la politique de santé et aussi celle de l’accès à la profession des soignants, médecins et autres. La qualité des soins, la qualité des conditions de travail des soignants, la collaboration entre intervenants, l’accès égal des patients aux soins sans distinction sociales ou géographiques, et bien d’autres axes importants ont glissé sur le côté ou à l’arrière-plan. La qualité et le contenu de la formation des soignants aussi, ainsi que l’impact de l’allongement de la durée de la plupart formations de base sur les effectifs médicaux et infirmiers disponibles.

C’est dans ce contexte de base qu’a surgi la pandémie, plaçant notre société et son système de santé dans un état de crise quasi-permanent depuis plus de deux ans. Le stress chronique préexistant dans le cadre de travail des soignants a amené progressivement un bon nombre de ceux-ci à un état d’épuisement professionnel[2].

Que les « combattants de la première ligne », applaudis sincèrement par les citoyens aux débuts de la pandémie, soient frappées par le burn-out n’est pas une surprise : ce sont en premier lieu les personnes qui sont motivées par leur travail, qui trouvent un sens à celui-ci, qui en sont de manière générale les premières victimes. Les témoignages et constats affluent à ce propos : il n’est pas question ici de « drama queens »…

 

 

Peut-on affirmer que l’Etat fédéral n’a pas pris la mesure du sous-effectif dans les hôpitaux ? Sans doute pas : le Parlement a créé un fonds budgétaire significatif afin de permettre le recrutement du personnel manquant, sur base (et c’est une première) d’une première proposition de la gauche radicale. Le gouvernement a embrayé en augmentant récemment les crédits disponibles permettant de revaloriser les barèmes des infirmiers spécialisés (dont ceux des services de soins intensifs).

Constat pour le court terme : on reste dans la sphère budgétaire et évidemment entre ces décisions bienvenues et leur traduction en effets concrets, il faudra du temps.

Mais alors me direz-vous, qu’en est-il de l’obligation vaccinale des soignants qui soulève bien des émois ? J’y viens.

Il est confirmé scientifiquement que la vaccination protège efficacement les personnes contre le Covid et qu’elle diminue le risque que celles-ci le transmettent à d’autres. La vaccination obligatoire de l’ensemble des soignants me semble totalement fondée à plusieurs égards compte tenu de l’impact du virus sur la santé des personnes atteintes. Pour leur respiration (physique et psychologique) et par solidarité.

D’abord pour la protection des travailleurs de la santé, comme c’est déjà le cas pour d’autres maladies graves[3].  Pourquoi agir au plan syndical en faveur de la protection des ouvriers de la construction, par exemple, et pas pour celle des soignants ?

Ensuite pour la protection des équipes de soignants contre l’absentéisme dû aux quarantaines et aux cas de Covid. C’est, me semble-t-il, particulièrement incohérent de plaider pour le maintien d’effectifs suffisants et d’adopter une approche conduisant à leur fragilité.

Et puis bien sûr aussi pour la protection des patients , covidiens et non-covidiens. Parce que le sens même du travail des soignants est de protéger et guérir leurs patients.  Comment sortir du burn-out si l’on nie le sens du travail ? C’est impossible.

La situation d’épuisement des soignants devrait, aurait dû, à mon sens orienter les comportements des décideurs politiques et du management des institutions de soin vers une communication forte, durable, et, surtout, empathique.

Or, au plan politique certainement, . on ne peut pas dire que cela ait été le cas à part quelques rares gestes symboliques individuels. Au plan du management, c’est sans doute un peu plus le cas, bien que l’on soit en droit de s’interroger alors sur les résistances à la vaccination qui persistent, comme sur la diffusion d’un discours antivax et de fausses informations par certains soignants.

Par ailleurs, comment ces éminents experts , pédagogues et captivants, que nous voyons dans les médias peuvent-ils expliquer les errements de leurs collègues dans leurs hôpitaux ? N’auraient-ils/elles pas dû s’investir plus sur leur propre terrain ?

Ce n’est pas parce qu’on a eu dans sa formation de base des éléments de déontologie que l’on entend son rappel quand on se trouve dans une situation d’épuisement. Et certainement pas si le discours adopté pour ce rappel est extra-punitif au lieu de ramener au sens du travail.

 

 

 

 

Pas d’obligations sans régles me dira-t-on. Oui . Mais pas dans une mécanique rigide impulsée par les décideurs politiques et un dispositif législatif rigide .Pas sans des campagnes de communication et d’explication, soutenues par les organisations syndicales, ou dans le cadre de la formation continue du personnel. Dans une approche de gestion des personnes par les responsables d’équipes, de services, d’institutions. Comme c’est déjà le cas pour les autres obligations et/ou recommandations vaccinales existantes.

Avec bien entendu le rappel à la règle, le dialogue, et pour quelques cas minoritaires les cas échéant des sanctions, sans que celles-ci doivent immédiatement déboucher sur un départ de la personne concernée. Comme c’est le cas de manière générale pour le respect du règlement du travail..

Un arrêté royal existe pour la protection du personnel contre les agents biologiques[4] ; « il suffit » d’y ajouter une ligne. Mais il faut, rapidement et sans attendre, changer de paradigme. Pour la respiration et la solidarité sur le terrain.

 

 

[1] https://www.lesoir.be/410742/article/2021-12-06/operations-reportees-cause-du-covid-des-patients-temoignent

[2] https://www.rtbf.be/info/dossier/epidemie-de-coronavirus/detail_face-a-la-quatrieme-vague-du-coronavirus-l-epuisement-du-personnel-soignant-je-me-reveillais-la-nuit-en-hurlant?id=10892201

[3] http://www.nosoinfo.be/nosoinfos/vaccinations-du-personnel-soignant-le-point-de-vue-du-medecin-du-travail/

[4]  Arrêté royal du 4 août 1996 concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à l’exposition à des agents biologiques au travail. M.B. 1.10.1996